Je passe la plume électronique à mon grand ami,
Philippe Dohy, critique de théâtre.

Votre dévoué,
Docteur Duchmoll


Ô lectrice, ô lecteur, penses-tu que le critique aime critiquer, négativement s'entend ? qu'il va au théâtre l'œil sévère, rempli de colère et pressé d'en découdre avec de petites phrases assassines ? qu'il est déjà blasé, qu'il a tout vu ? Mais nulle passion ne pourrait tenir longtemps dans ces conditions, et tant de mauvais spectacles le conduiraient inexorablement à se suicider sur la scène, lieu somme toute de son travail si stressant.

Car pour faire ce métier, il faut beaucoup aimer le théâtre. Voir une mauvaise pièce ou mal représentée, c'est une catastrophe. Tout d'abord, l'on passe un moment, toujours trop long, parfois atroce. Aimerais-tu aller à un concert, classique ou pop, où les musiciens joueraient faux, accumuleraient les fausses notes et les couacs de trompettes ?

Tu aimes assez le théâtre pour lire nos chroniques et tu es internaute. Tu es donc curieux et tu as sans doute vu l'un ou l'autre casting de la Nouvelle Star. Et tu as ri de tous ces candidats, des milliers, souvent touchants ou sympathiques mais qui chantent comme des casseroles attachées à la queue d'un chat, ce qui devient fort rare pour les chats mais pas pour ces chanteurs amateurs, qui se multiplient. Aimerais-tu que je te recommande l'un de ces concerts, par sympathie pour ces musicos casseurs d'os ? Oui ?

Quand le critique a vu une mauvaise pièce, c'est aussi une catastrophe parce qu'il va devoir écrire un papier négatif, chercher en lui quelques mots noirs à partager, pour se faire entendre et traduire toutes ses mauvaises impressions dont on sait la subjectivité. Pour réduire celle-ci qui le guide, il lui faut chercher des arguments sachant qu'ils déplairont évidemment à ceux dont le travail (non pas eux personnellement, mais ils confondent souvent, c'est naturel) nous fait perdre notre temps.

Le critique doit ainsi, lui, perdre encore son temps à essayer de t'épargner le tien, pour que tu le réserves à de meilleures œuvres. Le critique doit ainsi parfois se brouiller avec des gens fort sympathiques, qu'il connaît parfois, peut-être qu'il aime bien, au profit de personnes, les lecteurs, qu'il ne verra jamais, qui ne lui diront jamais "Merci de m'avoir épargné ce spectacle nul". Et dont il doit même espérer qu'elles ne lui écriront pas "J'aurais dû vous croire, vous aviez raison". Car cela signifierait qu'il n'avait pas su être assez convaincant.

Ô lectrice, ô lecteur, sache, songe, rappelle-toi désormais, que l'âme du critique est, au fil des ans, de plus en plus jeune et pleine de fraîcheur ; que, au seuil du théâtre, le critique ne fulmine pas de mauvaise humeur, mais qu'il est plein d'impatience d'être enlevé, ravi, de découvrir un chef-d'œuvre ou, au moins, un spectacle qui a une exigence à cette hauteur – pour le "boulevard" aussi, tous les genres sont les bienvenus dans le spectacle pourvu qu'il soit vivant. A chaque représentation, le critique frissonne comme un enfant qui va déballer un cadeau.

Car quand la pièce est bonne, ou géniale, comme tout est plus facile et limpide. Quand l'art est difficile, quand les artistes ont voulu surmonter ses difficultés, oui, la critique est facile. Les critiques positives s'écrivent dans le bonheur. Le seul effroi est parfois de ne pas avoir assez de mots pour te convaincre pleinement qu'il y a là quelque chose de merveilleux qui changera un peu ta vie, qui te nourrira longtemps. Te rappelles-tu les grands spectacles que tu as vus ? Oui, ils continuent de colorer ta mémoire, ils y jouent une mélodie qui t'émeut encore, te fait sourire ou te tenaille.

Le critique aime le théâtre. Il est à l'affut du bonheur, et de joies à partager. Le critique est une sorte de collectionneur qui a besoin de trouver des perles rares pour continuer à revenir au théâtre malgré les nombreuses médiocrités qui le jonchent, souvent, hélas, avec les meilleures intentions. Car le théâtre qui fait l'enfer du critique est lui aussi pavé de bonnes intentions.

Souvent, l'équipe a vraiment essayé de bien faire, mais il faut beaucoup de travail pour fabriquer des miracles mais cela ne suffit pas. Beaucoup de travail ne garantit pas un bon texte, ni de bons acteurs. Ce sont les forces principales mais si elles sont aux prises avec un metteur en scène qui ne les dirige pas discrètement mais veut les couvrir de ses traces et se montrer lui, sur la scène, dans toute la splendeur de son égo démesuré, à travers de fausses trouvailles et des gadgets divers, c'est encore fichu.

Parfois, l'équipe n'a vraiment pas essayé de bien faire mais seulement d'utiliser vieux trucs et grosses ficelles pour faire beaucoup d'argent. Car le pire reste à dire : quand le public est peu exigeant et se contente des mauvais plats qu'on lui sert car il ne va pas souvent au théâtre et ne sait pas tout ce que sa vraie magie, quand elle surgit, apporte à chaque vie.

Plus on fait n'importe quoi, n'importe comment... plus l'art est facile... plus la critique est difficile. Oui, ô lectrice, ô lecteur, tu t'en doutais, le critique ne descend pas du ciel, c'est un humain qui, comme toi, aime aimer et rayonner d'amour. Mais il essaie, quand il est intègre, de t'aider à t'y retrouver dans les grandes ou petites escroqueries publicitaires et marketing qui encombrent les médias, annonces et programmes. Car nombre de "journalistes" sont devenus des vendeurs de mauvais spectacles ou autres "produits" - même politiques.

Le critique sert aussi à démêler le langage.

Philippe Dohy